FAUT-IL CESSER DE VIVRE, POUR MIEUX EXISTER ?
Au soir de ce 26 juin, la nouvelle de la mort inattendue du célèbre chanteur américain, Michael Jackson, a jeté un froid sur le monde entier qui depuis palpite à l’unisson autour d’un seul et même thème. Une icône, affirme-t-on, vient de s’éteindre… ; une part importante de la famille Jackson a ainsi disparu, déclare, au bord des larmes, son frère Jermaine qui ainsi renforce la remarque poignante de sa sœur Jeannette, qui, elle, fait le distinguo entre l’icône que représente Michael pour le public, et l’importance considérable dont il est investi par la fratrie et par la famille entière qui lui voue une affection profonde ; « Il tiendra à jamais, affirme-t-elle, une grande place dans notre cœur ».
Plongé dans la mort, Michael emporte avec lui la représentation d’un modèle unique, de ce que peuvent ensemble façonner la famille, la société et le « showbiz »…, à partir d’un être étonnamment talentueux_ ce génie en herbe qu’il se révéla être dans son domaine, dès sa plus tendre enfance.
La chaîne des allégations de toutes natures, se dénoue, s’allonge, s’entremêle en divers points. Les opinions les plus controversées font progressivement irruption dans les médias, circulent de bouche à oreilles, et s’imposent dans un environnement décontenancé au fur et à mesure que s’apaisent les vagues de la grande stupéfaction du début. La déroute que crée toujours le caractère inéluctable de la mort fait place progressivement, aux hommages émotionnels, quand ce n’est le dénigrement systématique qui envahit l’atmosphère, et éclabousse déjà la mémoire de Michael. Pendant ce temps, sa surprenante disparition devient chaque jour davantage, un fait bel et bien accompli.
Michael enfant, adolescent et adulte est brutalement matraqué, d’abord par : ceux qui auraient dû l’aimer, ensuite, par ceux qui l’aimaient trop et/ou mal, enfin, par ceux qui ne pouvaient que le détester, si grandes étaient la peur et la jalousie que leur inspiraient son immense talent, et son incontestable succès entaché de scandales.- En s’éteignant en Michael, le 26 juin, cette flamme joie- de- vivre qui éclaira son étoile sur scène, pendant plus de quarante ans, cesse aussi de réchauffer le cœur de tant de générations, à travers le monde. Ceux qui ont aujourd’hui entre quarante et soixante ans savent fort bien de quoi il est ici question.
L’homme de cinquante ans qui semble avoir vécu, en si peu de temps, plus d’une vie sur terre avant de tirer sa révérence au monde, ne se produira pas dans ces derniers concerts prévus pour cet été, bien que l’impatience de le redécouvrir à nouveau sur scène après un si long silence, avait déjà gagné autant l’esprit de ses meilleurs fans que celui de ses ennemis les plus acharnés. Michael, sans s’y attendre, a simplement, « comme ça », tout bonnement, sans plus…, mis un point final à l’histoire bouleversée et bouleversante de sa vie. Une histoire d’histoires, qu’il a lui-même, rédigée assidûment au rythme dune succession d’actes_ du plus banal à l’inconcevable_ inscrits dans une durée quotidienne sortant de l’ordinaire. De ses toutes premières chansons_ alors qu’intégré dans sa fratrie pour former « The Jackson 5 »_ aux ultimes secondes de sa toute dernière répétition_ deux jours avant sa mort_ Michaël a apparemment évolué sur un nuage de rêves, empruntant souvent des accents de cauchemar… Par ses rêves et par ses cauchemars, il a dû pourtant susciter en dépit de tout, de l’envie chez plus d’un. Il a vécu en explorant avidement les vastes champs du plaisir et de la douleur, jusqu’à sa quintessence. Cet homme magnifié aujourd’hui, à travers le monde entier, a autant été dénigré, insulté, humilié, tourné en dérision, avili par son peuple même, dans son propre pays, et souvent, par ceux-là mêmes auxquels il avait eu à tendre la main ou à accorder sa confiance.
Michael, l’icône réhabilitée dans l’absence, n’est pas mort en ce 26 juin, car on l’avait déjà tué à petit feu, au cours de son dernier procès où il fut accusé de pédophilie, à tort ou à raison. Il a dû, lors, avoir touché le fond de la douleur, cet homme à qui la vie semblait appartenir, pour lui avoir tant donné, hormis l’essentiel, c’est-à-dire :
- une famille qui lui parle d’une enfance heureuse,
- sa conscience d’être qui il est pour s’assumer,
- l’estime de soi, en fait.
Ce qui a manqué à Michael, c’est pourtant ce qui fait souvent défaut à travers le monde entier à des myriades d’enfants, qui pour la plupart, n’ont pas le énième de son talent, et encore moins, son « droit d’oser repousser au simple caprice, toutes les limites établies» par l’acquis de la célébrité. Ce qui lui a manqué, c’est tout ce qui s’impose en vide, de sa biographie : une image paternelle valorisée et valorisante ; une véritable référence masculine proche ; un point d’ancrage sûr, qui lui eut servi d’étaie pour se construire au cours des différentes étapes de son développement, et atteindre la maturité sans trop d’accrocs. Ce qui a manqué à Michael trop vite devenu « star », c’est une enfance vécue en vrai enfant, dans un univers où il pourrait entretenir la relation au merveilleux, jusqu’au moment où il lui faille progressivement découvrir le monde dans ses différents aspects, sans avoir à en fuir les dures réalités. Ce qui a manqué à Michael, c’est ce qui ouvre, en naissant toutes les portes et permet de jouir des plus grandes opportunités aux États-Unis ; c’est ce spécimen du gène précieux qui lui aurait accordé un statut racial « non équivoque », et qui eut fait de lui un homme perçu complet dans son succès, tant par lui-même, par le « showbiz »…, que par la grande majorité du public: une nature de sang propre au « American Caucasian » (le « pure blue collar blood »). Cependant, ne voilà-t-il pas que le Michael Jackson, qui esquissait de façon étonnante ses premiers pas de « Bad » dans le monde sacré des choisis, celui des artistes reconnus, n’était qu’un simple et combien adorable jeune homme, noir de peau, à la tignasse frisée, crépue, et au mignon petit nez rond. Désolation ! Limites infranchies ou infranchissables ! Quel dommage, dirait-on !
Mais ce jeune homme détenteur d’un si rare talent de chanteur, de compositeur, de danseur et d’animateur, avait pour père un homme qui semblait avoir juré d’en faire son étalon, pour contrecarrer à la fois : la barrière des préjugés raciaux, le poids des injustices sociales et la médiocrité de ses propres résultats personnels. Pour en arriver à nourrir de telles ambitions sur ses enfants, Michael en particulier, il a bien fallu que celui-ci ait d’aussi tôt représenté de toute évidence une « réussite potentielle » ; une célébrité en latence qu’il fallait à tout coup réveiller, tenir en alerte et faire exploser à la face du monde entier. À ce compte, Michael était en quelque sorte une espèce de victime-née, condamnée par son propre talent à en payer le prix fort. Son premier grand crime, Michael l’a perpétré en naissant dans la peau d’un enfant issu des minorités américaines, mais qui n’avait rien de banal ni d’ordinaire. Il était, au contraire, un petit bout de chou qui se distinguait déjà de sa fratrie alors qu’il trépignait de plaisir en chantant et dansant, son chapeau de feutre haut de forme, couleur pastel, sur la tête. Rien d’un « déjà vu ».
Tous, ils chantaient dans cette fratrie, mais il n’y a eu que Michael à s’en distancer pour atteindre les plus hauts sommets de la célébrité. Allez comprendre les choses de la vie ! Quand le talent se conjugue à la chance, la bonne étoile… rien à faire d’autre, que de s’effacer pour laisser agir la Nature qui distribue ses faveurs à son bon gré.
Mais voilà qu’il est dit que Michael fut un enfant abusé, brisé par son père. Il est aussi dit, qu’il a eu à assister, impuissant, à des scènes de bastonnade que son père infligeait à sa mère. Il est encore rapporté que ce père autoritaire, omniprésent et tout puissant dans son quotidien de gosse, le forçait à chanter et danser, le soir, dans des boîtes de nuit. Si des preuves ne sont pas fournies, il n’y aurait pas non plus eu de démentis à ces monstrueuses allégations portées sur un père qui ainsi aurait utilisé ses enfants pour satisfaire sa vanité et combler son égotisme. Tel que décrit, il aurait été une espèce d’ogre de contes d’enfants, qui ne devrait exister que dans la légende. Un père épouvantable, bien trop craint pour être aimé sans réticences. Mais où était la mère de Michael, à cet instant ? Que disait-elle ? L’aurait-il terrorisée, à son tour, au point d’annihiler ses ressorts de défense, et jusqu’à l’inhibition de son instinct maternel naturel qui devrait la porter à protéger ses enfants de quiconque, voire d’un père abusif? Ou, est-ce parce qu’elle s’opposait à lui, qu’il la frappait… ? Toujours est-il que ce petit garçon a expérimenté la peur, l’effroi, la révolte, au lieu même où il aurait dû puiser le sentiment de sécurité, la pleine confiance en ses parents et en lui-même, l’évidence de l’amour et de la tendresse…, là où il aurait dû apprendre à goûter au bonheur, et à s’initier à son édification. Toujours est-il, qu’il aurait été confronté à la brutalité et à la cupidité, à un âge où en général les enfants s’amusent insouciants, font des bêtises, s’émerveillent de tous les petits riens, expérimentent la vie à travers leurs sens, et se construisent à partir des nutriments puisés dans la cellule familiale et dans leur environnement psychosocial. Toujours est-il, que cet enfant n’aurait pas eu droit à l’exploration du moi et du monde environnant à travers l’espace ludique réservé aux enfants de son âge, d’une façon générale. Bien des éléments primordiaux ont dû lui échapper de ce fait, ne serait-ce qu’en cours d’acquisition de ses pré- requis, et de leur assimilation. Son enfance elle-même aurait été banalisée, étouffée, handicapée, arasée par des ambitions d’adultes. Ses rêves d’enfant n’auraient pas trouvé suffisamment de nuits de sommeil paradoxal serein pour se développer, et lui permettre le double jeu du merveilleux et du réel qui participe tant à la construction de l’individu_ de l’enfance à l’âge adulte_ en passant par la puberté. Ce pont stabilisateur qui_ jeté sur les différents stades de la vie de chaque individu_ les lie, en assure la transition, et joue le rôle de véritables chocs absorbants, n’aurait pas, pour lui, rempli ses fonctions.
Mais, peut-on lancer la pierre sur le père, sans tenir compte, d’une part des résultats qui auraient pu n’être qu’époustouflants, et d’autre part du contexte dans lequel, lui-même avait grandi en tant que noir, aux U.S.A. pour devenir cet homme décrit comme un père et époux tyrannique, un briseur de vies ?
Cet homme, est ce père qui aurait eu à œuvrer dans l’irrationalité d’un sentiment paternel que l’on hésiterait à qualifier d’équilibré, aurait pourtant réussi_ en dépit de ses méthodes contestées et, qui sait, contestables dans les faits_ à capter, canaliser et à diriger les talents de tous ses enfants ; il aurait eu à les porter, de gré ou de force, à se focaliser sur leur réussite personnelle, en les poussant à bout de ce qui peut être considéré comme tolérable dans la vie d’un gosse, et aurait en quelque sorte contribué à leur célébrité, chacun en son genre. Il aurait_ malgré la brutalité même de ces principes qui lui sont attribués_ assuré en quelque sorte l’avenir de tous ses enfants, en les poussant à s’imposer à travers leurs créations, à tout un peuple, voire au monde entier. La fratrie Jackson n’a pas gravi tous ces échelons sans sa participation, pour pernicieuse qu’elle ait pu se révéler à différents égards, s’il faut en croire cette thèse du père tyrannique et abusif. À la supposition qu’il serait impossible de lui reconnaître le statut d’un père de famille pleinement responsable entretenant des relations saines et constructives avec sa progéniture, s’il est aussi difficile de le condamner sans sursis, il ne fut pas moins dans les faits pour ses enfants, bien plus un « coach ombrageux », qu’un père visionnaire. Ne fut-il pas obsédé par l’ambition, émulé, qui sait, par la conviction de faire en sorte que ses enfants noirs n’eussent pas à subir, comme lui, les injustices sociales qui limitent et condamnent le noir américain à l’accès par la porte d’à-côté quel que talentueux et brillant qu’il puisse être. Craignit-il, à l’époque que leur fût refusée une pleine reconnaissance aux plus hauts sommets de la gloire, même méritée ? Cette reconnaissance, qu’il contemplait pour eux et pour lui-même, par ricochet. Ce père reconnu violent, a dû, se souvenir de la reconnaissance conditionnée dans laquelle un Nat King Cole par exemple a été contraint d’évoluer, en se produisant sur scène masqué derrière les rideaux, de peur que la couleur malvenue de sa peau ne choquât l’assistance blanche, ni ne ternît la beauté pourtant reconnue de son répertoire.
Il faut admette que le succès de l’actuel président noir aux élections, ne remonte qu’à la fin de l’année 2008, même quand il se trouve confirmé par sa réélection. Mais, à quel prix !
Bien long et abrupt est le chemin parcouru par cette communauté noire américaine reléguée encore récemment au traitement de seconde zone, bien plus subie qu’accueillie. De Martin Luther King à Barack Hussein Obama, il y a bien eu un Michael Jackson oeuvrant à sa manière, dans l’espace des loisirs. Voilà, ce qui pourrait éclairer un peu sur le comportement de ce père obsédé par ses ambitions, aigri par ses frustrations, et qui n’a pas su aider ses enfants à exploiter leurs dons, tout en les affectionnant. Jusqu’à quel point peut-on lui lancer la première pierre, sans remettre en question un système qui crée ses montres, tout en leur ouvrant la voie à la réussite. Et, malheureusement chaque enfant étant unique, ce père condamné a concouru _par sa philosophie dite tortionnaire de l’éducation et la poursuite de sa propre réussite, à travers celle de ses enfants_ à installer la confusion dans l’esprit de Michael, à briser ses attentes affectives, à saboter son estime de soi, et à affiner sa sensibilité, préparant de lui l’étoffe d’un homme fragile et vulnérable. Etant lui-même en complète confusion de rôles, il ne pouvait donner à sa famille que ce qui lui restait de semblant d’amour, étouffé par son propre ego flagellé. Son amour-propre, exacerbé, d’une part, par les frustrations et conflits raciaux, et d’autre part, par les complexes interraciaux ne pouvait laisser en lui, que très peu de place pour la spontanéité, et pour la générosité de l’amour en général. Il en est résulté un comportement agressif, compulsif, violent à la limite, et pour tout dire, incontrôlable. Tout ceci pourrait expliquer le comportement du père de Michael, et autant parler de l’époux machiste qu’il semble avoir été pour sa femme. S’il se trouve que ce regard porté sur les faits rapportés dans la biographie de Michael Jackson, supporte cette approche analytique, rien par contre, ne justifiera jamais la violence sous aucun ciel, ni l’abus du pouvoir, et encore moins l’irrespect au sein de la famille, …, d’où qu’elle vienne, et quelle qu’elle soit.
Ceci pris en considération, Michael a donc vécu une enfance bazardée, irréelle, suivie d’une vie d’adulte tout aussi irréelle. En fait, un enfant qui n’a jamais été enfant ; un adulte qui n’a jamais voulu mûrir, et qui pis est, un homme accompli en âge, qui s’est réfugié maladivement dans une enfance imaginaire, fuyant la réalité adulte qui le ramènerait au vécu de ses propres parents, à nouveau, dans sa propre famille…En cela, son refus de grandir s’installa dans l’âge adulte comme une armure qui le protègerait d’un ennemi qu’il identifiait en l’adulte, ou plus précisément_ et en rapport avec les considérations antérieures_ en son père. Cependant, celui-ci, au fond, ne garderait-il pas ses tentacules tant au sein de la société qu’il fraye à tous les niveaux, qu’aussi bien en lui-même. La vie éblouissante de gloire de Michael, semble avoir été escamotée, dans sa dimension humaine. Amour filial, conjugal, paternel, en fragile ébauche. Rien d’achevé, d’élaboré, d’abouti. Rien.
Que peut-on reprocher à quelqu’un qui n’a jamais été, qu’un autre que celui qu’il fut dans sa réalité chronologique, ce, tant par la faute des siens, que par les conséquences entraînées par la faute des siens, et celles de ses propres faiblesses de tempérament ?
Il est un fait certain, c’est que les autres membres de la fratrie n’ont pas atteint la hauteur de ses sommets dans le monde du spectacle, ils n’ont pas, non plus, atteint les limites de ses propres démesures. Il a bien fallu que Michael fût ainsi porteur d’un tel talent, pour que sa sensibilité soit aussi profonde et à fleur de peau. Il lui a fallu être à ce point sensible, pour présenter une telle vulnérabilité contrastant avec sa prodigieuse force créatrice. Un artiste, il le fut, au plus profond de l’âme. Il fut par conséquent unique et comme isolé dans ses attentes ; fonctionnant en porte-à-faux dans un monde dans lequel son cœur ne semblait guère trouver de juste résonance.
À un niveau plus éloigné de la cellule familiale déjà si atypique, Michael fut un enfant abusé, un adolescent troublé et instable, un artiste tiraillé par les réalités et les pièges des avenues de la célébrité ; un adulte confronté au refus de grandir. Il a fortement subi la pression du milieu social américain ambiant, et a cédé à des lubies des plus attendrissantes aux plus ahurissantes (décoloration de sa peau, acharnement au relookage de son nez qualifié de « gros » par son père, et de ses cheveux frisés…). Sur lui, ont pesé les plus lourdes pressions du milieu du « showbiz »…, car plus un artiste semble présenter d’atouts, plus on exige de ses talents et de sa représentativité (sex appeal). Mais on ne peut essayer de comprendre un tant soit peu Michael Jackson si on ne prend pas en compte le milieu noir américain d’où sont issus ses parents, et d’où il émerge lui-même.
Parler de la profondeur des complexes qui rongent la communauté noire américaine, en opposition à celle dite caucasienne, n’a rien d’inédit. On ne reconnaît que trop les conséquences du rejet des caractéristiques de sa nature par le noir en général. Aux Etats-Unis, cette dévalorisation prend des proportions encore plus importantes qu’ailleurs où la conscience identitaire semble avoir connu un tout autre parcours, entre des frontières d’épanouissement nettement plus étendues. Aux Etats-Unis, particulièrement, la femme noire tend à se masturber le psychisme de faux cheveux traités en divers genres. Femmes et hommes souvent, dans bien des cas, s’asticotent de produits chimiques de toutes sortes pour se rapprocher le plus, de l’idéal en type que représente pour eux, le blanc, le dit " American Caucasian", détenteur exclusif pendant si longtemps des pouvoirs et privilèges sur un territoire partagé, départagé et protégé par des frontières psychosociales étanches et tacites, jusqu’à ces dernières présidentielles qui ont changé certains des paramètres établis en dehors de toute législation. Une donne qui semble avoir changé, pour mieux incruster les éléments qui lui ont toujours fait obstacle. Il est inutile de rappeler l’inhibition dans laquelle s’exile dès l’enfance le noir américain en particulier, quand il ne sombre pas dans l’exhibitionnisme outré, affichant des attitudes provocatrices, adoptant des couleurs et des accoutrements consacrés « blacks, jadis negros », non pour l’originalité qu’on leur reconnaîtrait, mais pour leur extravagance réputée choquante dans l’opinion publique opposée. On ne compte plus les fois, où des noirs talentueux et pourtant célèbres donnent dans l’exagération, à force de s’affubler de vêtements voyants, renforcés d’accessoires et de parures vues comme indispensables, tels les lunettes noires et le sempiternel borsalino, tous deux, portés de jour autant que de nuit, et par toutes occasions ; les énormes bijoux, tant chez les hommes que du côté des femmes ; les faux cheveux retombant parfois jusqu’à la taille, et qu’il faut surtout à chaque fraction de seconde écarter du visage en balayant l’espace d’un geste ostentatoire de la tête ou de la main, ou pourquoi pas, des deux a la fois... Est-il encore besoin de faire mention des cheveux defrisés d’un si grand nombre d’hommes noirs à notoriété publique, aujourd’hui encore ? Tous ces faits, constatés sont entre autres, versés au profit du blanc américain, dit « Caucasian », et de tous ceux qui s’en servent souvent pour arguer l’incontestabilité de l’essence supérieure d’une race par rapport à l’autre.
Est-ce la faute au noir, de quel que niveau qu’il soit, si tout au cours de ces temps d’affranchissement, le blanc, ici, le Caucasian, à l’instar de celui d’ailleurs, lui a fait admettre l’infériorité naturelle de ses traits, par rapport à ceux-là que les canons usuels de la beauté et de la mode ont reconnus, et consacrés beaux ? Ces traits, qui demeurent les attributs de la finesse et qui porteraient le sceau indispensable du raffinement de la race blanche ?
Est-ce la faute aux noirs, si la mélanine qu’ils véhiculent, leur fabrique toute une gamme de complexions allant de la couleur pêche aux nuances variées du chocolat pur, ou au lait, sur une peau qualifiée de sombre, de dépourvue de luminosité… ?
Est-ce encore la faute aux noirs si la nature crépue de leurs cheveux, et très souvent la limitation de leur longueur, les privent de la possibilité de réaliser certaines coiffures que, du fait de la frustration, ils admirent sur la tête des blancs et n’aspirent qu’à les reproduire sur la leur ? Peut-on, de surcroît, leur refuser ce droit à s’offrir ce qui semble s’inscrire en devoir vital dans le cadre de la valorisation individuelle, particulièrement dans le monde du spectacle ?
En dépit des progrès effectués par la technique et dans les mentalités qui font que l’on multiplie les modèles ouvrant la voie aux choix multiples pour chacun, il reste tout de même, chez les noirs_ ici comme ailleurs_ bien des frustrations à évacuer, pour parvenir à se libérer des avatars de la colonisation mentale par le blanc, auquel tout compte fait, le noir généralement tend à s’assujettir de lui-même_ comme qui dirait, par un devoir sacré de survivance_ à la mémoire des temps sombres et tristes…
On comprendra alors, que vivant conscient de ce talent prodigieux dans son frêle corps d’adolescent nègre, Michael Jackson, le célèbre chanteur et danseur qui porta la musique pop à son apogée_ ce Roi de la Pop Musique_ ait senti, que de tout ce dont il avait été comblé par la Nature_ exception faite des considérations affectives_ il ne lui manquait : qu’une certaine couleur convenable de la peau, des cheveux droits et lisses, un nez aquilin aux limites du possible, pour enfin devenir en tout, l’égal de la célébrité blanche qu’ainsi il côtoyait et supplantait déjà dans son domaine, avec pourtant l’intime sentiment de ne pas l’équivaloir.
On comprendra que le jeune homme, dépourvu d’essentielles balises, privé de solides repères de modélisation, et surtout soudain si riche alors qu’encore si jeune, ait eu à donner dans la tentative ultime de changement fondamental apparent même de race autant que cela lui aurait été possible. C’est en fait, un rejet global de sa réalité naturelle, qu’a effectué le jeune Michael sans l’expliciter; un rejet de ces traits dits ingrats d’une race qui le rapprochait encore plus de son père ; ce père qui l’ankylosait et l’empêchait de se valoriser assez pour atteindre mentalement les sommets que le succès mettait désormais à sa portée ; un rejet de sa mère, des siens et des leurs.
En fait, qu’avait-il à envier à qui que ce soit, sinon que l’équilibre émotionnel qu’il eût eu à puiser au sein de sa famille, et les caractéristiques qui opposent généralement le blanc au noir, plutôt que de l’en différencier, simplement ; naturellement ? Combien lui a coûté mentalement une telle opération de blanchiment épidermique ? Quel est ce fameux chirurgien blanc aussi de peau qui la lui a réalisée, pour le transformer en un homme, ni noir, ni blanc ? Que de procès, pourrait-on intenter à tous ceux-là qui ont transformé cet être humain_ au mental et au physique, en un genre hybride, mal défini ?
Michael avait, de très tôt connu la gloire que gère déjà difficilement l’adulte de quel que milieu qu’il soit ; il possédait, alors qu’encore adolescent, une fortune identifiée en figures et dont les chiffres s’expriment en termes de millions. Il avait le monde à ses pieds, mais il gardait un vide immense au cœur, creusé par l’insécurité et l’absence d’estime de soi, qu’avait fait naître en lui le dysfonctionnement familial, inscrit lui-même dans une aberration sociopolitique cultivée de part et d’autre. Tous ces paramètres sont plutôt questionnables ; encore faudrait-il le reconnaître avant d’aller plus loin dans l’illogisme collectif.
Michael est tombé dans le piège du « showbiz » américain, qui a cru pouvoir créer d’un être humain doté d’un talent fabuleux, une espèce préfabriquée, à mi chemin entre l’homme et le robot, qui représenterait, avant toutes considérations, pour ces magnats du spectacle, une véritable machine ambulante à sous. Or, que fait-on d’une machine dont on se sert dans un but lucratif ?
On le rend de plus en plus performant, afin d’améliorer le rendement quantitatif, et si possible, qualitatif du produit à en obtenir. Tel, fut le jeune Michael, pour bon nombre de ceux avec lesquels il collaborait. Ceux qu’il fréquentait et qui lui soutiraient ses faveurs, ne sont même pas à compter.
Une machine, qui ne sert plus à produire, n’a plus sa place près de ceux qu’elle aurait eu à enrichir. On la remise au loin. Michael l’a échappé de justesse ; car si jamais il avait failli au cours de ces concerts tant attendus, il aurait été tout simplement largué par tous ceux-là qui ont semblé le soutenir.
Il est triste de se souvenir du Michael Jackson tiré de son lit d’hôpital et traîné publiquement, en pyjama et savates devant les juges, au tribunal, pour répondre des accusations de pédophilie qui pesaient sur lui. Il semble bien que le Michael qu’on avait jusqu’ici connu, avait en ce jour précis : déjà rendu l’âme ; fait tomber les rideaux de la scène qui l’avait rejeté ; fermé les portiques de son temple, où était en train d’être sacrifiée l’Icône des icônes de la Pop musique. Où étaient-ils, tous ces fans dits inconditionnels, qui le pleurent aujourd’hui, à l’heure du procès infamant ? Michael aurait tellement, à cette heure _innocent ou coupable, mais vivant_ eu besoin de leur support moral. Mais là encore, plus isolé dans sa personne blanchie et refaite pour le plaisir d’un public et son confort mental, il devait et a dû traverser les sentiers de la honte et de l’infamie du crime qui lui était reproché, à tort ou à raison. Car, le doute a plané sur lui, même après avoir été reconnu innocent. Doit-on aujourd’hui conclure de sa réhabilitation par, et dans la mort ?
Ce qui a frappé et qui frappe dans ce parcours fulgurant de Michael Jackson, c’est :
- la dévotion avec laquelle on lui a érigé de très tôt, un piédestal, un trône incommensurable,
- la complicité avec laquelle on l’a laissé se surfaire, et on l’a encouragé à aller d’une chirurgie esthétique à une autre, et dans une certaine mesure, à s’autodétruire physiquement et psychologiquement,
- la désinvolture avec laquelle on lui a tourné le dos,
- et depuis ce 26 juin écoulé, l’hystérie collective qui a accueilli et semble déplorer sa mort, allant du chagrin, aux allégations de drogue les plus équivoques.
Que Michael Jackson ait été anorexique, et qu’il ait eu à développer une addiction aux médicaments, ne représente franchement, en rien, un cas isolé dans le monde des célébrités… ! Que Michael ait donné dans la débauche n’a vraiment rien d’exclusif à son brillant parcours ; qu’il ait été autant adulé, qu’envié, n’étonne pas non plus, car le succès des autres fait ombrage bien souvent à ceux qui n’y ont pas accès. Cependant, la cruauté des propos souvent tenus contre lui, interpelle et incite à la réflexion, tous ceux qui peuvent aller au-delà des trompeuses apparences dans les rapports humains.
S’est-il, dans sa quête d’amour et d’affection, cru si aimé du public, qu’il lui était du coup, tout permis. ? A-t-il pensé compenser ses manques affectifs en s’abandonnant en toute confiance à des gens qui en fait, ne faisaient que l’utiliser, l’exploiter ? A-t-il espéré, rien que pour l’avoir profondément souhaité, combler le vide d’enfance qui hanta sa vie d’adulte, en s’offrant le cadre féerique de son ranch de Neverland, pour ensuite tenter de le partager avec d’autres auxquels il ne voulait pas qu’il manquât l’opportunité de l’enfance, en référence à celle qui lui fut si dramatiquement ravie…? Ne s’est-il pas perdu, en croyant pouvoir revenir en arrière, vivre et faire vivre aux enfants, ce qui lui avait été volée : son enfance à lui.
De quoi est-il coupable, sinon que d’avoir été comblé par les dieux, et de n’en avoir pas su payer le prix de la gloire, à la hauteur de ce qu’il en avait reçu ? De quoi est-il coupable, sinon que d’avoir essayé de s’immerger dans le fleuve du succès en y cherchant la voie au bonheur qui semblait pourtant le fuir comme son ombre ?
On dira sans doute, qu’il n’a pas su choisir les bonnes voies pour y accéder, alors qu’il possédait tant… Ce à quoi, on pourrait opposer comme réponse, que : Michael n’était en rien prêt pour cette vie célèbre, mouvementée et vertigineuse qui déstabilise les plus solides des humains ; qu’il n’a pas eu de repères pour affronter ce milieu que représente celui du « showbiz », qui sait autant détruire que construire. On pourrait aussi alléguer qu’il lui manquait l’essentiel pour garder la tête froide dans ce tourbillon de flatteries et d’hypocrisie auquel il a fait face en ingénu, qui croit, que ce en quoi_ lui_ il croit, représente aussi le credo d’autrui. Il a donné dans la démesure, le grotesque même, tout en offrant cependant l’amour à satiété, en achetant à prix de lingots d’or l’affection de qui n’en disposait pas pour lui, et en désarmant les plus sensibles, à travers ses provocations de gosse à la voix demeurée impubère, et qui voulait parfois jouer au « Bad ».
La mort a surpris Michael en lui refusant la toute ultime quête de sa vie, celle de reconquérir vivant la scène et le public, au rythme des applaudissements duquel son cœur avait appris à mieux palpiter, et en face duquel, ce manque d’estime de soi, qui l’avait converti en narcissique mégalomane, s’éclipsait, s’évanouissait, et le laissait renaître en cet artiste à la posture de titan, que nul n’oublierait ; que nul, désormais, n’oubliera.
La mort lui a raflé sa vie alors qu’encore jeune, en le consacrant toutefois, mondialement dans sa stature gigantesque de Premier parmi les autres ; Unique en son genre et en son temps. Il a reconquis des cœurs qui lui étaient fermés ; il a obtenu le pardon de bien de ceux-là qu’il avait déçus. Il est pourtant devenu plus dangereux dans la mort, pour tous ceux-là qui l’enviaient ; il est maintenant invincible ; car ses détracteurs s’en prennent à présent à un « Mythe » qu’ils ont aussi œuvré à ériger. Michael, n’a jamais eu autant de témoignages d’affection, ni n’a autant suscité de chaleur dans l’expression de la perception qu’on avait ou qu’on a acquis de lui, depuis sa disparition. Trop tard, malheureusement. Trop tard, car il ne les entendra plus, ni n’électrisera de public au son de ses chansons et au rythme de ses danses… Sa mort le fait renaître aujourd’hui à une autre dimension, alors qu’au loin se profile déjà, le spectre de nouveaux procès : garde légale de ses enfants, absorption abusive de médicaments exigeant une prescription médicale, testament…. Décidément, lui, Michael, ce prodige des temps, l’emportera bien jusqu’au paradis : cette saveur aigre-douce de scandales en cascade.
Mais, que ne respecte-t-on pas son silence éternel !
Somme toute, Michael ne fut qu’une victime à la fois, de la dérive parentale, de la société, du milieu du « showbiz », de ses complexes, par-dessus tout, de sa sensibilité et… de son propre talent.
Michael représente en son genre, l’un de ces rares génies, dont il faudrait saluer la dépouille avec respect, en souvenir de ce qu’il a osé réaliser, et permettre de réaliser. Un phénomène, comme il n’en existe pas deux au cours d’une même époque.- Quant à sa vie privée_ sans vouloir viser personnellement ceux qui le qualifient de pervers et de pédophile, en dépit du jugement qui l’avait innocenté_ elle est, ce qu’elle fut : chaotique, controversée, à la fois parsemée de joies (ses trois enfants) et de bris de toutes natures. Sa vie privée tant qu’elle ne déborde pas sur les plates-bandes d’autrui, ne devrait regarder en fait, que lui-même et ceux qui s’y sont trouvés impliqués. Elle est comparable en fait à celle de la grande majorité des célébrités, à travers le monde entier, tout en gardant son caractère unique. Pour ce qui est du reste, il n’a pas plus d’importance que celle qu’on lui attribue, car la leçon à retenir de tout ce branle-bas émotionnel, se résume en très peu de mots : Tout n’est que vanité !
À qui, le tour, prochainement ? Nul ne le sait. Voilà, l’unique certitude dans la vie, et à laquelle n’échappe personne.
Michael aura, sans conteste, légué un riche patrimoine au monde entier, et laissé, par l’exemple tant en perfection qu’en déplorable, des bases sur lesquelles le noir américain devrait continuer de se construire non dans un espace à côté, flanqué du qualificatif enclavant de « noir », mais une vraie vie d’être humain, intégrée en tant qu’américain à part entière, non conditionné par une certaine complexion de la peau.
Adieu Michael, toi, qui occupes une place spéciale dans tant de beaux souvenirs d’enfance et d’adolescence! Adieu !
Carmelle St.Gérard-Lopez
Juillet 2009
Mise-á-jour : Mars 2013